
« Le mot « soutoura » en wolof vient de l’arabe « sitr », qui signifie voile, couverture, discrétion. En wolof, il désigne une forme de pudeur, de dignité et de protection de l’intimité, particulièrement dans les épreuves ».
Dans mon enfance, ce mot résonnait dans toutes les conversations, même sans être prononcé. Soutoura, c’était cette élégante discrétion, cette pudeur profondément enracinée dans notre culture sénégalaise. Une manière d’être, de se tenir, de vivre — en respectant l’autre, en évitant d’exposer ses failles, en couvrant ses manques. Pas pour cacher, mais pour protéger.
Nous sommes la génération Y, les millennials, pris entre deux mondes. Celui de nos parents, qui ne disaient pas tout, mais faisaient beaucoup. Et le nôtre, hyperconnecté, surexposé, souvent bruyant, parfois cruel. Nous avons grandi avec les valeurs de nos anciens : le sens du collectif, doylou (« ce que j’ai me suffit »), la retenue, la solidarité en silence. Mais aujourd’hui, quelque chose s’effrite.
L’intelligence émotionnelle semble avoir perdu sa place dans l’espace public. L’empathie s’est diluée, remplacée par le jugement instantané, l’envie tapie dans l’ombre, les partages sans filtre. Soutoura n’est plus qu’un mot qu’on prononce sans l’incarner.
Et pourtant, dans nos entreprises, dans nos familles, dans nos cercles d’amis, le besoin de soutoura est immense. Pas pour revenir en arrière, mais pour réconcilier le progrès et la sagesse. Pour recréer des environnements sains, où l’on peut tomber sans être piétiné, se tromper sans être humilié, parler sans être trahi.
En tant que professionnelle de la communication et de l’image, cette introspection m’interpelle. Comment bâtir des récits authentiques sans alimenter la violence symbolique ? Comment aider les personnes et les marques à s’exprimer avec justesse, sans devenir des produits vidés de toute humanité ?
Il ne s’agit pas de nostalgie. Il s’agit de transmission. De réapprendre à ressentir, à se retenir avant de réagir, à protéger sans dominer, à valoriser la force tranquille du silence utile. Alors oui, Soutoura est bien plus qu’un vestige du passé : c’est une boussole pour notre avenir. Une valeur précieuse, fragile, que nous avons le devoir de préserver, de transmettre. Pas seulement pour les autres, mais d’abord pour nous-mêmes.
Comment espérer une société plus juste, plus douce, si nous ne commençons pas par nous offrir à nous-mêmes ce voile de pudeur, de retenue, de bienveillance ? Ne serait-il pas temps de réapprendre à nous protéger… avant de vouloir exposer les failles des autres ?
Latifa Ngoné DIACK
Senior consultant | Brand Strategy | Professional & Personal transformation Coach | Marketing, Communication, PR | Founder, Fabira Image Consulting